Poème du mois d’avril (2022)
Elle dit : les martinets sifflent, on dirait la pluie, là-bas où les doigts du nuage traînent. Tu vois, c’est bien d’y aller tôt, ça laisse du temps, la mer étale, l’hôtel de la plage pas encore rempli. On a commencé la saison le 10 mars. Le Libron, la Maïre. Un échassier crie, le glouton avale le plastique, la plage est étroite, rongée côte Ouest. Gris du ciel et de la mer confondus. L’eau avance sous les
landes spongieuses, bruyère, palus, étangs, la lisière trouble filtre le ciel
Une girafe est éclairée, animaux de ferraille et plastique déchiré, des circuits dessinent des boucles de ferraille désertées, un clocher de basalte noir pointe et l’église trapue veille le village ramassé. Les coquelicots fleurs noires argentiques ; les rigoles, zones humides iris jaunes. On aurait même essayé de créer des rizières, dans les années 50… Les guêpes sont folles. Les martinets désormais rasent la terrasse. Il faudrait aller acheter du vin, mettre un sparadrap sur le pouce entaillé. Dire les jours de cendre mâchée, de sable brassé. La mer remugle, la pourriture dans le nez (les moules au bissus emmêlé de joncs, racines torses, troncs déchiqueté tout cela en vrac sur le sable humide)
Nous ne sommes plus. Nous
remuons, secouons les mots, soulevant la poussière des phrases
anciennes (antiennes) nous
doutons du sens désormais. Partout il y aurait la nostalgie d’une maison familiale l’été, la chasse aux papillons, la nostalgie d’une enfance qui n’aurait jamais existé, short et robe bleue, parmi les herbes hautes et les fleurs éclatantes, nous
courons.
C’est la folie de
(les mains sont ridées, brunies, le moustique a trouvé la commissure)
vacances que l’on prépare, ici dans l’intermittente tiédeur
le cœur sidéré, bat, là-bas où l’impensable a eu lieu, immeubles éventrés, cratères, fulgurances déchirant le ciel, c’est terrible le ciel en feu, le déchaînement des bombardements, les parois calcinées que les journaux racontent, ces réfugiés, regards hagards, ici, le cœur là-bas, si proche et si loin des fêtes qui ici se préparent (et l’on ne veut pas y croire, on ne veut pas y penser, bien que le malade au visage enflé menace, acculé, prêt à tout n’a rien)
à perdre
Deux ibis noirs
Elle dit : la frontière est indistincte, l’oiseau ne bouge pas. Son œil te fixe, le corps noir et blanc se raidit et ne cède pas, protégeant la couvée, te suit et t’incite à partir. Des bruyères vertes palpitent rouges. Il fait une chaleur de sel. Un dépôt blanc cerne les flaques.
Soulèvement de grandes ailes courbes, noires, les pattes en décalé, le cou hésite brièvement avant d’orienter le vol, le long bec courbe profil apparaît, un deuxième ibis s’envole.
Vous ne comprenez pas. Il faudrait inventer une langue qui parle les choses neuves, le monde ancien est mort, la chaleur est saumâtre. Ce ne seraient que des soulèvements, soubresauts, secouements pour chasser les peaux mortes, la poussière, et le rythme ferait sens. Vous reconnaîtriez la langue dans le chant du torrent. La vallée répercuterait l’affaissement d’un bloc de glace ou la libération subite d’une retenue d’eau, le bruit ne serait jamais le même et tu sursauterais, croyant entendre paroles humaines là-bas. Un même verbe grec pour dire couler et parler…