vendredi 16 décembre 2016

Vers la ville



Le bus quitte la capitale et l'on va tenter de dormir. Minuit approche, la lune resplendit. Elle n'a pas envie de dormir, la jeune femme, alors elle engage la conversation et te demande si l'odeur du bus ne te dérange pas. Tu préfères ne pas y songer, ce n'est pas le moment d'être nauséeuse, c'est la même odeur de sièges neufs qu'à l'aller, mais autant ne plus y penser. Elle te dit avoir l'habitude désormais de ces voyages en bus pour Limoges, ses parents y vivent, le train est devenu hors de prix. Elle avoue ne pas comprendre la logique suivie par le gouvernement : jouer le transport routier contre le train, alors que la route pollue tellement plus… À la bibliothèque de l'Arsenal, elle a suivi une conférence à propos des Quito Papers. C'est à cause de la Charte d'Athènes qu'on a maintenant les Quito Papers. Elle te sent un peu dans le flou. Certes, tu connais le nom de Le Corbusier, certaines de ses réalisations mais tu ne sais rien de plus. En anglais, pour parler de l'urbanisme, elle précise qu'on utilise l'expression « urban planification » alors que, pour parler de la partie réservée à l'architecture, on parle de « urban design ». En France, on emploie la notion d'urbanisme de façon très approximative. L'urbanisation du Grand Paris est un domaine qui la passionne : on trouve tous les chantiers, toutes les questions réunis sur un même territoire. La question rurale est également présente : on oublie souvent que l'Île-de-France renferme les sols les plus riches, les plus fertiles ; on ne doit pas abandonner les terres agricoles au foncier. Se posent ainsi des questions du monde rural, celles propres à une capitale, sans compter celles du rapport d'une ville à sa banlieue… Lors de cette conférence, on a révélé un fait sidérant, qui concerne les grandes villes de la planète : Londres, New-York, Paris… Dans ces villes, les logements font l'objet d'investissements purement spéculatifs de la part de grandes sociétés étrangères, qui préfèrent investir dans la pierre plutôt que de laisser leur argent dans une banque. Le conférencier a projeté la photographie d'un grand immeuble à Manhattan : les fenêtres éclairées correspondaient à des appartements réellement habités, mais la plupart des fenêtres avaient des stores baissés et l'immeuble était presque entièrement noir. Ces immeubles remplacent les comptes-titres des sociétés, jugés trop versatiles, et les rares personnes qui habitent encore dans ces endroits les quittent parce qu'elles ne supportent plus de vivre au milieu de tout ce vide, dans ces immeubles autour desquels il n'y a plus le moindre commerce, autour desquels il n'y a plus rien. Le même phénomène existe aussi à Paris : on n'a pas forcément conscience, quand on se promène dans Paris, que des immeubles entiers appartiennent à des Chinois.

vendredi 18 novembre 2016

Le café (et le carré de i)


14 novembre. Rouge, assez discret, collé à hauteur du regard contre un réverbère, l'étroit autocollant rappelle que « Tout le monde déteste la police ». Tu traverses, prends sur la gauche. Le soleil couchant incendie les feuilles oranges des arbres, le ciel est violet sombre. À Noël, tu iras dans le Jura et, ce soir, il y aura une « super lune ». Les voitures ne mettent pas leur clignotant, toujours tu dois chercher le regard du conducteur, te méfier des piétons dirigés par leur portable, te méfier de ceux qui regardent après avoir posé le pied sur la chaussée, te méfier. Ton corps est à l'affût des écarts, tout t'énerve.

Les épaules ouvrent le passage entre les fumeurs massés devant la porte. Le café PMU est bondé d'hommes (une seule femme) tournés dans la même direction, celle de l'écran diffusant des courses, la salle est comble, le silence dense, recueilli, la torpeur épaisse, le silence saisit la poitrine (tu comprends l'expression « un silence assourdissant »). Tu t'enfonces vers le fond de la salle, une deuxième salle dont on fait le ménage, tu n'oses poser de questions de peur de déranger le spectacle.
Dos sous une capuche, survêtement déchiré, il y a une odeur. Leurs doigts pianotent sur une sorte de tablette, tu ne comprends pas leur cirque, ne vois que leurs dos, soudain ils se précipitent sur un bulletin, le remplissent, vont au guichet, se poussent du coude, le petit brun grommelle quelque chose à l'autre qu'il pousse, il lui arrache le bulletin des mains, le lui refourre dans la paume, grogne. Il y a une odeur. Le silence a brutalement été rompu, on s'agite, parle en arabe, se pousse, pousse un autre vers le comptoir, échange des ordres brefs. La poubelle est renversée, on se précipite pour la fouiller, à la recherche de papiers, la femme qui balayait l'arrière-salle arrive furieuse mais qu'est-ce qu'ils m'ont fait ! Oui, Zied, je sais que ce n'est pas toi.

Zied :
C'est elle qui m'a fait venir ici, j'étais jeune, j'avais à peine 24 ans ; elle, elle en avait 38. Et ici, tu vois, elle a montré un second visage ! elle a enlevé le masque, elle me parlait mal. C'est incroyable, pourquoi on fait ça à quelqu'un ?! En Tunisie, elle disait des choses, et là, en France, c'était plus la même personne. Alors j'allais sur le balcon, et je pleurais je pleurais. Tu sais, c'est incroyablement dur d'être étranger en France, d'avoir quitté son pays, sa langue, sa famille, l'INA… (j'allais pouvoir occuper un bon poste, là-bas…) et d'être ainsi sans personne pour te consoler. Tu vois, la mère, quand tu es chez toi, elle vient, elle s'approche… (il te touche le bras), elle te dit comme ça : « mais qu'est-ce qui ne va pas, mon petit, dis-moi ? Qu'est-ce qui se passe ? », mais là, j'étais seul. C'est incroyable comme j'étais seul ! J'étais un étranger. Comment on peut faire ça ? Elle m'avait piqué, j'avais 24 ans, j'étais jeune, je ne savais pas grand chose de la vie. En Tunisie, je pouvais faire des trucs ! J'avais fait deux ans de prépa, H.E.C, j'avais un bac de gestion, j'avais réussi l'INA, je pouvais travailler dans l'administration. Et là, tu vois, je suis chauffeur routier ! Tous les soirs c'est : vas-y pour Montauban, et puis Rodez, ou Castres. En Tunisie… tu sais, la Tunisie, c'est pas comme les Algériens, eux ils vont se battre… Non, les Tunisiens, nous on parle. On discute. On dit à la France : qu'est-ce que vous voulez ? On va pas prendre les armes, non, on va discuter, et la France elle va partir.
Tu vois, elle, elle a pas discuté, elle m'a pas expliqué. Elle a enlevé le visage (il fait le geste d'enlever une peau), le masque est tombé. Et moi, j'étais plus rien, j'avais tout quitté pour venir ici.
Je te saoule peut-être avec mes histoires… En Tunisie, on apprend quatre langues. Moi, je connais l'arabe littéraire et l'arabe que je peux parler avec un Syrien, avec un Libyen, avec un Marocain. Je comprends tous les Arabes, je parle le français, je peux parler avec tous les gens des pays francophones, je parle l'anglais, le chinois. Les profs, quand on les croisait dans la rue, on était tout petits ! Eux, ils avaient le savoir, eux, on ne les oubliait jamais ! Tu vois, ce prof, il nous enseignait les Lumières ! Il nous disait : il y a cinq philosophes des Lumières, il y a Montesquieu, nous, on se faisait tout petits ! Il écrivait Montesquieu en énorme, en rouge, et on n'oubliait pas Montesquieu.
Un copain m'avait dit : « Viens au club nautique, tu vas voir ». Alors j'y suis allé, j'ai appris, tu sais, les petits bateaux, puis les… Le copain, il m'a fait passer le certificat, il m'a dit qu'au club med' ils cherchaient des gens comme moi, pour accompagner les groupes, en été. Alors je travaillais trois, quatre mois, et j'avais un bon salaire ! C'était des francs, des devises, je pouvais bien vivre ! J'avais facilement cinq cents francs pour le week-end, alors je pouvais payer. C'était beaucoup, cinq cents francs ! Le café, il n'était qu'à cinq francs ! On emmenait les groupes à l'étranger : j'ai vu les Maldives, Cuba, la Grèce… j'ai vu dix-sept pays ! Et après, je pouvais retourner étudier. J'avais une belle vie !
Tu vois, les gars, ils disent qu'ils ont étudié les maths. Mais si tu leur demandes le carré de i, ils savent pas. Moi, des types qui savent pas le carré de i, je peux dire qu'ils ne savent rien ! Tu connais pas le carré de i ? Mais pourquoi t'as laissé tomber les maths ? On peut faire plein de métiers, avec les maths ! En Tunisie, on peut pas, comme ça, faire médecine après des lettres. C'est pas comme en France ! Le carré de i ? mais c'est moins 1 !

mercredi 5 octobre 2016

Petits tableaux de la peur



Tableau I.
Le 10 septembre, le temps file, le temps est une flèche, tu ne te couches pas pour l'embrasser, l'épouser, pour vous enrouler tous les deux, tu ne te poses pas l'épousant, l'avalant, te déposant en lui que tu avales et poses (ceci est mon corps), non : tu te couches sur le temps-flèche, le temps-tapis, et tu voles, tu fuis, traces, tu fuis les blocs, tu fuis la cicatrice peau cousue, bouche cousue, matée, domptée, tu emportes ton petit moignon de rein, ton petit arbre intérieur, tu serres les reins, petit kangourou devenue tu empoches tes petits reins, serres les poings, et tu te tires, tu prends la poudre d'escampette. Fuis ! Tu te casses !







Bleue. On dit la peur bleue. Mais non, la peur est verte.

Alors tu te tailles. À grandes enjambées. Petit Poucet, tu enjambes les paysages, vas toucher le monde, t'assurer de l'existence du monde (« le monde est là, mon cœur ») : Naples est là, Athènes est là, les raggazzi sont là, te regardent avec l'air de se foutre de ta gueule, les chats dorment à Athènes, le lichen pend aux troncs des arbres dans la montagne au-dessus d'Ax-les-thermes, on profite de la neige, les skis crissent, tu fonces, tu grimpes dans les bus, tu montes dans les trains, tu grimpes, raquettes aux pieds, une montagne pentue, tu fonces, tu vas toucher le monde, tu mets le monde entre les blocs et toi.


mardi 6 septembre 2016

samedi 26 mars 2016

dimanche 31 janvier 2016

La forme des nuages






« C'est le langage qui nous fait des figures. Les fous aussi ont une figure, mais sans cesse elle change : un ciel bouleversé de nuages, trucidé d'étoiles, lacéré par la course du soleil, et qui pourtant ne gardera mémoire de rien, hormis la fatigue, aucune trace. »

David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval, Verdier, 2016.

vendredi 29 janvier 2016

Carnet dessiné (janvier)







Tu ne te résous pas à la mort des choses.





Embrasser.

















Partir (tu voudrais)











samedi 9 janvier 2016

Abécédaire du bonheur (suite)

C comme… 



cadeaux de Noël






E comme…









ensemble




M comme…






P comme…



pogne

et comme…


petit déjeuner





V comme…