dimanche 21 mai 2017

4 cabanes





Cabane 2
Le mercredi 5 avril, la neige n'est pas de la neige, mais de la glace. Le vent, le torrent, le jappement des chevreuils, les cris des corbeaux, la chaleur sous les pins. Des heures pour dégourdir les doigts. Les herbes ont été brûlées par la neige, les lichens sont spongieux. Obligée de rebrousser chemin, l'équilibre est précaire, la glace pure et les roches se déchaussent. Elle avait dévissé, avec son ami, sur les pentes herbues du Salève. On les avait retrouvés morts, au bas des prés pentus, à flanc de montagne. Tu avais longtemps contemplé les quelques annotations laissées sur les premiers exercices de ta copie. Tu as voulu être portée. Les pas cherchent leur appui à la limite des plaques de neige gelée, parfois taillent un appui d'un coup de talon, mais soudain tu perçois le danger. La glace dessine une coulée qui file droit, rien ne retient la glissade vers les troncs où se cogner, se fracasser. Il n'y a aucune raison de poursuivre : tu n'es pas venue pour ça. Quand bien même tu parviendrais à franchir ce pan de glace, rien ne te garantit qu'il n'y en aurait pas d'autres encore plus larges, plus périlleux. Tu rebrousses chemin, et c'est plus difficile encore au retour, puisqu'il faut prendre appui sur l'autre pied, assurer un équilibre plus précaire, quand il s'agit de contourner les neiges glacées franchies à l'aller.
Le gypaète est barbu, tu n'en vois que le corps clair, le bout des ailes, noir. Te confier au paysage, embrasser le hêtre aux branches tortillées. 





Une version plus longue de ce texte a été publiée sous le titre "Cabanes sauvages", dans le numéro 17 des Cahier de l'École de Blois, en juin 2019.