samedi 14 décembre 2013

dimanche 10 novembre 2013

"Le Chemin des dames"




Dans le petit bois en face




Monologues de la boue, été 1




MONOLOGUES DE LA BOUE
TRAVERSÉE 1, été 2011

Border to border, frontière Ouest



 Nuit 1, jour 1
Tu songes au ciel et aux labours gras devenus plomb noir, sous un vent auquel rien ne vient dresser obstacle.
Le Haut-Pichot, Pas-de-Calais. Du coin de grange surplombant la cour intérieure d'une ferme où tu t'installes, tu entrevois le dos d'un vieux garçon voûté, en blouse bleue, qui pénètre dans une aile de ferme abandonnée aux poules, empestant le guano. Tu as frappé contre un carreau pour prévenir la mère, en tablier à carreaux, que tu dormirais là. Tu étales la couverture de survie sur une paille maculée de fientes de pigeon, ça roucoule, des poules viennent fouiller, glousser, gratter, la poussière de paille brûle tes narines. La pluie ne cesse pas, elle ruisselle luisante sur le chemin, le vent emporte les sombres nuages, l'eau fouette les tôles, charrie la terre des champs qui deviennent boue, des bulles d'eau glissent sur le goudron crevassé. L'obscurité semble verte, la pluie noire.


Arrivée à Boulogne-sur-Mer, Pas-de-Calais : immédiatement, les mouettes.


Une bande blafarde délimite les champs gonflés de pluie et le ciel noir.


T.E.R. Mer à UN EURO. Dans le bus en correspondance, des familles de gens très jeunes, avec plus de trois enfants, les parents fument. Encombrement de glacières, de parapluies. Deux jeunes ados s'ennuient, le bus ne démarre pas mais attend le T.E.R suivant. « Papa, t'as vu, y'a personne cette semaine. La semaine dernière, c'était tout plein, là, devant la gare, le bus il était bourré. » Ils se suspendent aux barres du bus, effectuent des tractions, bandent les muscles et demandent à leur père si c'était comme ça à l'armée. Le père, informe, est affalé sur un siège contre la vitre, vêtu d'un survêtement qui plisse, fatigué. Ses cheveux mi-longs sont peignés en arrière, son regard se perd en direction d'un couple plus jeune avec poussette, homme à la fine barbe, capuche, nerveux, brun, visage émacié, air oriental, femme cheveux et peau clairs, plus épaisse que son compagnon, qui se demandent s'il ne vaut pas mieux changer de direction et préférer, vu la météo exécrable, aller dans Boulogne-centre plutôt que partir sur une plage. Tout le monde a le même teint pâle, les mêmes habits délavés, le ciel est gris de pluie, le vent cingle, les nuages vont vite.


Équihen-plage, drapeau rouge, le sentier côtier t'offre à la furie du vent, tu agrippes les fougères, te coupes les mains. La mer en contrebas écume, tu ne sais plus si la bruine provient des embruns ou du ciel.
Un peu plus tard, tu bois une pression ambrée dans un café tapageur : ton anniversaire.


Nuit parmi les plumes et la paille, journées dans les averses, le vent, le ciel bas. Pays vert, aux champs rebondis, qui donne l'impression d'être dans la matière nuageuse, sans horizon. Tu avances dans le vert et la brume.





Tu veux photographier le sol comme une stèle, tu veux que cette terre sur laquelle ton regard tombe soit vue comme un paysage qui serait vertical, une peau à laquelle on ferait face, aux mille pores, scories, traces, scarifications. Tu veux qu'on perde l'échelle du paysage. Ton regard cherche des frontières, des franges. Tu fouilles les ombres des herbes, la limite entre les cailloux, les brindilles et le sol. Tu cherches ce qui détermine qu'on s'arrête ici plutôt que là-bas pour fonder une ville, délimiter un pays, pour parler une autre langue, cuisiner d'autres plats. Tu fouilles.


Devenir boue, s'enfoncer par les ongles, fouir, fouine, ronflement des fossés, pleurs des marcassins, des hérissons. Les bêtes qui ne parlent pas.


Tu marches dans le sable des dunes, étonnée devant le foisonnement végétal qui parvient à y pousser, le vent déplace le chemin, les nuages sont lourds, le drapeau rouge, un vent violent te bouscule, te déséquilibre, tu assures davantage encore chaque pas que tu poses sur le sol sur lequel tu avances.


Les forêts sont devenues colle jaune et boueuse dans laquelle tu dérapes, tombes brutalement. Les branches dont tu cherches à faire un appui cassent. Tu nettoies ton pantalon souillé de boue dans de longues feuilles trempées.


Une lumière noire éclabousse les feuilles.




dimanche 13 octobre 2013

L'Encyclopédie par le timbre

Le chemin des Dames fait partie de la collection « L'Encyclopédie par le timbre », qui souhaite imiter les albums cartonnés sur lesquels les enfants collaient les images qu'ils trouvaient dans les tablettes de chocolat.
L'album comprend 32 pages constituées de reproductions typographiques en Bodoni des inscriptions relevées sur les stèles lors d'une marche effectuée sur le Chemin des Dames à l'automne 1992, de photographies en noir et blanc du paysage et des stèles jalonnant le chemin, de photographies en couleur des petits soldats que la photographe peignait et mettait en scène dans son enfance.
Le tout se veut rumination de l'expression « Chemin des Dames ».















samedi 28 septembre 2013

Le Chemin des Dames







« Lui me rendra forte, nous voyagerons, nous chasserons dans les déserts, nous dormirons sur le pavés des villes inconnues, sans soins, sans peines. » 







Stèles (Le Chemin des Dames, été 2010)




Le Chemin des Dames, été 2010




Signy l'Abbaye, Ardennes. On n'est pas nombreux par ici, tant mieux ! Moins on est de fous, plus on rit ! [Il rit]. Toutes les forêts deviennent privées, l'État n'a plus d'argent et vend tout. Heureusement, le débardage est réglementé, parce que sinon, avec leurs forêts privées, ils y passent n'importe quand avec le bois, ils s'en foutent, et après faut tout refaire… Dans dix kilomètres, c'est fini, c'est la craie, les grandes cultures… après c'est la Champagne… L'État s'en va, y'a plus rien : l'autre jour j'allais au tribunal de commerce, à Charleville, le gardien m'avait déjà fait vider tout ce qui pouvait faire du bruit avec le portique et il m'a demandé alors où j'allais : le tribunal de commerce n'était plus là mais à Sedan !L'habitat, ici, il est groupé. Une église, un château dans les temps reculés, parce que c'était un pays dangereux avec les frontières. Alors on n'a pas de ferme isolée. Quand les Allemands ont occupé, en 40, on était réfugié – nous, dans l'Allier, pas loin de Vézelay… les Allemands, ils géraient tout : les fermes, elles travaillaient pour eux.





L'association plantes et savoirs en Champagne : tressage de blé, « Michel Doyen effectuera une greffe en écusson sur merisier en lune descendante. » ; à Château-Porcien, lessive au lierre.







 
Verger de l'Abbaye de Vauclair
Pommes : Marie Doudon, Rambourg rouge d'hiver, transparente blanche, drap d'or, Rambourg de Lorraine, transparente Croncels, Pomme d'api étoilée, Ponsard, Reinette clochard, Louifon, Pigeonnet de Jerusalem, Jean Tondeur, Reinette Abry, Calville Saint-Sauveur, Jules Labitte, Calville Alexandre, Colapuis, De Luc, Clermontoise, De Cave, Bondy, Reinette dorée, De Sale, Duret, Golden, Belle de Boskoop, Reine des reinettes, Croquet double des Ardennes, Jolibois, Saint Louis, Reau, Saint Baussant, Belle fleur d'Argonne, Calville rouge, Calville blanc d'hiver, Pigeonnet de Rouen, Reinette Fardel
Poires : À cuire, Seacle, Williams, Curé, Catillac, Demie livre, Notre Dame, Hubert, À Côte d'or, Frangipanne, Beurre Bachelier, Jules d'airelles, Besi de Chaumontel, André Desportes, Beurre d'Aremberg, Délice d'Hardenpont, Soldat laboureur, William's du dresse, Docteur Jules Guyot, Épine du Mas, Baronne de Mello, Clapp'favourite, Cul frisé








Église de Barbonval, Marne (51)
L'orage a tout détrempé. Les fenêtres ne permettent de voir que le ciel, les nuages. Non, pas un orage d'été, mais une tornade noire, de la grêle et des arbres hachés. Tu t'es barricadée à l'intérieur de la chapelle en travaux, et l'as partagée avec des guêpes. Le lendemain, profusion de prunes dans les fossés.







Jean-Pierre F., Moussy Verneuil, Aisne. Il te propose, une fois que tu as planté ta tente dans son jardin, de partager vos casse-croûte. Il est allé à Compostelle, il est parti de la tombe de sa compagne et se souvient de la joie des Sœurs en France, de leur simplicité gaie, lui, l'anarchiste amoureux. De tant de choses même pas imaginées : tomber à genoux et en pleurs, devant sa tombe. Compostelle : un rendez-vous qu'il avait avec elle. À la lueur de la bougie, dans la nuit tombée, il te raconte les champs de jeunes gens labourés, massacrés, devenus glèbe. Son ami laboureur (vous savez, généralement, un laboureur laboure en regardant devant lui) regarde toujours derrière, pour voir ce qu'il ressort. Parce que presque cent ans après, il ressort toujours des trucs. Il a ressorti 52 corps. Le dernier, c'était en 2002. Le gars était les pieds vers le haut. Dans sa besace, il y avait son portefeuille avec une petite photo à l'intérieur et une boîte de sardines, qu'il avait emportée au front. C'était peut-être le plus émouvant, la petite boîte de sardines. 
 
  


jeudi 26 septembre 2013

De la boue…


Tu marches. Tu songes au ciel et aux labours gras devenus plomb noir, sous un vent auquel rien ne vient dresser obstacle. Tu marches.