MONOLOGUES
DE LA BOUE
TRAVERSÉE
1, été 2011
Border to border, frontière Ouest |
Nuit
1, jour 1
Tu
songes au ciel et aux labours gras devenus plomb noir, sous un vent
auquel rien ne vient dresser obstacle.
Le
Haut-Pichot, Pas-de-Calais. Du coin de grange surplombant la cour
intérieure d'une ferme où tu t'installes, tu entrevois le dos d'un
vieux garçon voûté, en blouse bleue, qui pénètre dans une aile
de ferme abandonnée aux poules, empestant le guano. Tu as frappé
contre un carreau pour prévenir la mère, en tablier à carreaux,
que tu dormirais là. Tu étales la couverture de survie sur une
paille maculée de fientes de pigeon, ça roucoule, des poules
viennent fouiller, glousser, gratter, la poussière de paille brûle
tes narines. La pluie ne cesse pas, elle ruisselle luisante sur le
chemin, le vent emporte les sombres nuages, l'eau fouette les tôles,
charrie la terre des champs qui deviennent boue, des bulles d'eau
glissent sur le goudron crevassé. L'obscurité semble verte, la
pluie noire.
Arrivée
à Boulogne-sur-Mer, Pas-de-Calais : immédiatement, les
mouettes.
Une
bande blafarde délimite les champs gonflés de pluie et le ciel
noir.
T.E.R.
Mer à UN EURO. Dans le bus en correspondance, des familles de gens
très jeunes, avec plus de trois enfants, les parents fument.
Encombrement de glacières, de parapluies. Deux jeunes ados
s'ennuient, le bus ne démarre pas mais attend le T.E.R suivant.
« Papa, t'as vu, y'a personne cette semaine. La semaine
dernière, c'était tout plein, là, devant la gare, le bus il était
bourré. » Ils se suspendent aux barres du bus, effectuent des
tractions, bandent les muscles et demandent à leur père si c'était
comme ça à l'armée. Le père, informe, est affalé sur un siège
contre la vitre, vêtu d'un survêtement qui plisse, fatigué. Ses
cheveux mi-longs sont peignés en arrière, son regard se perd en
direction d'un couple plus jeune avec poussette, homme à la fine
barbe, capuche, nerveux, brun, visage émacié, air oriental, femme
cheveux et peau clairs, plus épaisse que son compagnon, qui se
demandent s'il ne vaut pas mieux changer de direction et préférer,
vu la météo exécrable, aller dans Boulogne-centre plutôt que
partir sur une plage. Tout le monde a le même teint pâle, les mêmes
habits délavés, le ciel est gris de pluie, le vent cingle, les
nuages vont vite.
Équihen-plage,
drapeau rouge, le sentier côtier t'offre à la furie du vent, tu
agrippes les fougères, te coupes les mains. La mer en contrebas
écume, tu ne sais plus si la bruine provient des embruns ou du ciel.
Un
peu plus tard, tu bois une pression ambrée dans un café tapageur :
ton anniversaire.
Nuit
parmi les plumes et la paille, journées dans les averses, le vent,
le ciel bas. Pays vert, aux champs rebondis, qui donne l'impression
d'être dans la matière nuageuse, sans horizon. Tu avances dans le
vert et la brume.
Tu
veux photographier le sol comme une stèle, tu veux que cette terre
sur laquelle ton regard tombe soit vue comme un paysage qui serait
vertical, une peau à laquelle on ferait face, aux mille pores,
scories, traces, scarifications. Tu veux qu'on perde l'échelle du
paysage. Ton regard cherche des frontières, des franges. Tu fouilles
les ombres des herbes, la limite entre les cailloux, les brindilles
et le sol. Tu cherches ce qui détermine qu'on s'arrête ici plutôt
que là-bas pour fonder une ville, délimiter un pays, pour parler
une autre langue, cuisiner d'autres plats. Tu fouilles.
Devenir
boue, s'enfoncer par les ongles, fouir, fouine, ronflement des
fossés, pleurs des marcassins, des hérissons. Les bêtes qui ne
parlent pas.
Tu
marches dans le sable des dunes, étonnée devant le foisonnement
végétal qui parvient à y pousser, le vent déplace le chemin, les
nuages sont lourds, le drapeau rouge, un vent violent te bouscule, te
déséquilibre, tu assures davantage encore chaque pas que tu poses
sur le sol sur lequel tu avances.
Les
forêts sont devenues colle jaune et boueuse dans laquelle tu
dérapes, tombes brutalement. Les branches dont tu cherches à faire
un appui cassent. Tu nettoies ton pantalon souillé de boue dans de
longues feuilles trempées.
Une
lumière noire éclabousse les feuilles.
2 commentaires:
Bientôt un nouveau roman ? :)
Hélas, non. Je ne parviens pas à "monter" mes notes. Merci!
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