Les herbes |
« L'été
suivant, le premier été sans elle, regardant par les vitres du
train les herbes touffues, exubérantes jusqu'à envahir le ballast,
le ciel bleu et dense où flottent légèrement des nuages de beau
temps comme des nacelles de bonheur dans le grand jour, stupéfait
par cette plénitude, je me demande comment le monde a pu se refermer
sur son absence dans cette densité où apparemment rien ne manque,
où il n'y a aucune marque de déchirement si ce n'est en moi. Et
quelques semaines plus tard, remontant de la plage volcanique de
Procida dans la chaleur turbulente de midi, le long de ces rues aux
façades roses et bleues qui renferment des jardins de citronniers, à
l'idée soudaine que, pour la première fois, je ne lui raconterai
pas un voyage en rentrant, fût-ce avec ces mots trop rapides et
distraits qui étaient les miens, des pleurs me brouillent les yeux
et ce déferlement de beauté reflue en chagrin immense suspendu dans
le jour brûlant »
Laurent
Jenny, Le lieu et le moment, pp.112-113, Verdier, 2015
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