vendredi 10 juillet 2015

Embrasser le paysage



Les herbes



« L'été suivant, le premier été sans elle, regardant par les vitres du train les herbes touffues, exubérantes jusqu'à envahir le ballast, le ciel bleu et dense où flottent légèrement des nuages de beau temps comme des nacelles de bonheur dans le grand jour, stupéfait par cette plénitude, je me demande comment le monde a pu se refermer sur son absence dans cette densité où apparemment rien ne manque, où il n'y a aucune marque de déchirement si ce n'est en moi. Et quelques semaines plus tard, remontant de la plage volcanique de Procida dans la chaleur turbulente de midi, le long de ces rues aux façades roses et bleues qui renferment des jardins de citronniers, à l'idée soudaine que, pour la première fois, je ne lui raconterai pas un voyage en rentrant, fût-ce avec ces mots trop rapides et distraits qui étaient les miens, des pleurs me brouillent les yeux et ce déferlement de beauté reflue en chagrin immense suspendu dans le jour brûlant »

Laurent Jenny, Le lieu et le moment, pp.112-113, Verdier, 2015

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